Radioscopie – N°6 Parler du corps


Guy-Marie Riobé

La loi sur l’avortement. Être attentifs aux situations dramatiques. Des prêtres quittent le ministère. Prêtre et célibat ?

  • Jacques Chancel :

    Que pensez-vous des positions de l’Eglise en matière sexuelle : contraception, avortement, mariage des prêtres. Vous parlez souvent d’un malentendu entre le christianisme et la sexualité. Ça veut dire quoi ?

    Guy Riobé :

    Cela veut dire beaucoup de choses. Cela veut dire que l’Eglise – et ce n’est pas un jugement que je porte sur l’Eglise, il ne faut pas avoir l’air de mettre l’Eglise en vis à vis du monde – l’Eglise est un morceau du monde, elle chemine, elle pérégrine dans le monde, mais c’est tout de même cette partie de l’humanité qui fait référence à Jésus-Christ. Pour moi, est-ce que – vous parlez de sexualité et christianisme – est-ce que nous faisons suffisamment attention au corps, au corps ? Il y aurait très long à dire là-dessus. J’ai l’impression qu’on commence à découvrir le corps. Et c’est le corps qui nous met en relation les uns avec les autres. Qui dit corps touche tout ce domaine de la sexualité.

    Jacques Chancel :

    On a voté une loi sur l’avortement, pour l’avortement. Vous êtes d’accord ?

    Guy Riobé :

    Je ne peux pas ne pas être d’accord. Non pas d’accord avec la loi, je suis fondamentalement contre l’avortement. Mais, en réfléchissant, je vous livre très librement ma façon de penser. Il y a un fait, c’est les 300 000 avortements en France à l’heure actuelle, et il paraît que ce chiffre est largement dépassé. Il y a un fait, c’est qu’il y a trente mille, trente-trois mille, enfin un nombre considérable de femmes qui se font avorter, qui meurent, ou restent blessées. L’Etat est devant ce fait. C’est un fait, et la loi qu’il a votée, c’est dans le réalisme de ce fait. Il n’y aurait pas ce fait, il n’y aurait pas eu cette loi. Cette loi est là pour essayer de porter un remède à ce phénomène monstrueux de ces centaines de mille avortements chaque année. Je respecte ce fait, et dans ce sens-là, je comprends cette loi. Maintenant, je voudrais dire que cette loi, ce débat, il m’a considérablement interrogé. Au lieu de me dire « Est-ce que nous sommes pour, est-ce que nous sommes contre l’avortement ? » – mais nous sommes tous fondamentalement contre l’avortement – est-ce que nous nous interrogeons suffisamment les uns et les autres sur notre comportement vis-à-vis de celles qui vont être amenées, que nous le sachions ou non, à se poser une telle interrogation ? Nous avons encore même dans notre langage, ce n’est pas si loin que nous parlions et dans quel sens des « filles-mères ». Regardez les lenteurs des décrets d’application des lois Neuwirth. Est-ce que nous entourons, mais pas simplement par des lois, par des organismes sociaux, mais par cette attention, les familles, les femmes qui ont des difficultés de vivre par leur travail, des difficultés de logement. Il y a là une interrogation au niveau de chaque personne, avant même de se mettre à juger une loi.

    Jacques Chancel :

    Vous parliez à l’instant, Monseigneur, des « filles-mères ». Les prêtres et les chrétiens eux-mêmes n’ont pas été très tendres pour les filles-mères.

    Guy Riobé :

    Vous savez, j’ai connu même, j’ai connu même cette chose, quand j’étais prêtre, ce qu’on appelait un « mariage à la cloche de bois ». C’est à dire que, quand une jeune fille attendait un enfant avant d’être mariée et que c’était su, elle devait – nous sommes dans un pays dit de chrétienté – elle était obligée de se marier à 6h-6h30 du matin et, à ce moment-là, cela paraissait comme un blâme public non seulement vis-à-vis de cette fille, mais vis-à-vis de toute sa famille. C’était presque une infamie. Alors, nous véhiculons tout cela. Bien sûr, tout cela a évolué ; j’ai peut-être tort même de ramener ce fait, mais c’est quand même un passé que j’ai connu. Et c’est là où personnellement j’ai été heureux, profondément heureux, de la façon dont, à Lourdes, nous avons parlé de cette question, en essayant d’être extrêmement attentifs à tant de situations dramatiques de foyers qui, après un déchirement terrible, peuvent pour sauver la vie de leur foyer, se résoudre à cet acte de mort, comme certains le disent, qu’est un avortement. Mais nous, Eglise, et moi, évêque, en tant que disciple de Jésus-Christ, quand je me trouve en face de personnes qui ont été amenées à poser cet acte, de quoi ont-ils besoin, ces gens-là, au sortir d’un cauchemar ? Je pense aux foyers chrétiens, les autres ne se poseront pas la question sous le même angle, non pas que cela ne les Radioscopie Jacques Chancel – Guy-Marie Riobé. 2 janvier 1975 traumatisera pas non plus, mais n’empêche qu’au niveau du chrétien, c’est sa foi même qui est en cause. Et quand ils viennent me trouver, au sortir d’un tel cauchemar, de quoi ont-ils besoin sinon que je les aide à rencontrer Dieu, Dieu dont le visage dans l’Evangile, a été celui du Christ devant la femme adultère ? C’est une des pages de l’Evangile que je ne peux jamais lire sans pleurer. Voir que le Christ devant cette femme qu’on veut lapider, n’a même pas eu un regard sur elle, parce qu’elle n’aurait pas été capable de supporter son regard. Mais qu’Il l’a simplement remise à elle-même, pour qu’elle reparte dans la vie avec la même confiance.

    Jacques Chancel :

    Monseigneur Guy Riobé, il y a aussi la question du mariage des prêtres, et vous dites vous-même qu’il est trop facile de dire qu’ils ont failli.

    Guy Riobé :

    C’est une chose que je m’interdis toujours. Vous touchez là l’un des points les plus douloureux de ma vie d’évêque, parce que dans le diocèse d’Orléans, comme dans beaucoup d’autres diocèses, il y a des prêtres qui ont quitté le ministère, des prêtres qui se sont mariés. Mais qui peut dire qu’ils ont failli ? Ou alors, je renverrais la question : s’is ont failli, c’est à dire faillir, cela veut dire quoi ? Cela veut dire que leur foi n’a pas été suffisante pour les soutenir dans un moment difficile. Pourquoi est-ce que des prêtres, après 3-4 ans d’ordination, arrivent à ce que leur foi soit tellement fragile que, devant un amour humain, il n’y ait rien je dirais de l’autre côté de la balance, du côté de leur ministère, qui puisse les aider à dépasser une épreuve ou plutôt une rencontre qui est le lot de tout homme normalement constitué ?

    Jacques Chancel :

    Mais un vrai prêtre doit-il être dans le célibat ?

    Guy Riobé :

    L’Eglise le veut, actuellement, et je pense qu’il y a là quelque chose de très grand, de très grand. Mais alors il faut voir. Je me refuse dans cette question, quand vous posez : un vrai prêtre doit être dans le célibat.

    Jacques Chancel :

    D’abord, qu’est-ce que c’est qu’un vrai prêtre ? Pardonnez-moi cette question.

    Guy Riobé :

    Je dis un prêtre, c’est un prêtre qui a été ordonné par un évêque et qui reste en lien avec l’Eglise et qui remplit le ministère qui lui a été confié. Alors, est-ce qu’un vrai prêtre doit… Ce que je craindrais, c’est que nous sommes là dans l’ordre d’une discipline. Je l’ai écrit – et c’est peut-être une des pages auxquelles je tiens le plus – pour moi, la seule raison pour qu’un homme, toute une vie, fasse le sacrifice de l’amour d’une femme, des enfants, d’un foyer, accepte – il faut bien le dire, quand même, à travers toute une vie, et peut-être c’est plus sensible encore au fur et à mesure que l’on vieillit – à la fois une extraordinaire, mais aussi une étrange solitude, c’est que Jésus-Christ pour lui est une Personne vivante. C’est peut-être dans ce sens-là que l’on peut parler dans ma vie de conversion. Et le père de Foucauld m’y a beaucoup aidé. Pour moi, quand on me parle de Jésus-Christ, pour moi, Jésus-Christ est une personne vivante, c’est une personne présente. Il est mon ami, et cette amitié fait le but de toute ma vie.

    Jacques Chancel :

    Monseigneur Riobé, soyons tout à fait sincère : vous étiez prêtre, vous êtes évêque ; vous avez 63 ans ; vous êtes passé à côté de ce que vous dites l’amour humain. Mais ne regrettez-vous pas aujourd’huI d’être pauvre d’une famille, d’une femme, d’un foyer, d’enfants ?

    Guy Riobé :

    Je ne le regrette pas, mais c’est un sacrifice continuel, surtout dans les périodes de fête. Je pense là à ce que pourrait être autrement ma vie. Mais alors j’y pense, mais aussi le fait qu’il n’y ait pas un foyer, qu’il n’y ait pas des enfants, certainement cela m’a permis un immense réseau d’un tout autre ordre, mais quand même qui est très réel, d’amitiés, de liens avec les uns et les autres, de possibilités de communion. J’exprimais au début tout ce que vivent tant de gens avec qui j’essaye de faire route. Jésus-Christ, ce n’est pas simplement un ami qui va accaparer ma vie ; mais en Lui, et avec son regard, et avec son cœur, il y a une immensité qui peuple ma vie. Et du reste, dans cette personne même du Christ s’enracine l’universel, et mon cœur, je pense, n’est pas un cœur de vieux garçon rabougri et qui attend je ne sais quelle félicité dans le ciel, comme vous le disiez tout à l’heure.

    Jacques Chancel :

    Merci Monseigneur.