Guy-Marie Riobé
Être prêtre sans avoir la foi ? Souffrance devant l’incompréhension. La charge de l’évêque.
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Jacques Chancel :
Autrefois, on pouvait être prêtre ou évêque sans avoir la foi ?
Guy Riobé :
Je ne sais pas.
Jacques Chancel :
On le dit. On l’écrit.
Guy Riobé :
Même Pape !
Jacques Chancel :
Aujourd’hui, ce n’est plus possible ?
Guy Riobé :
Je n’en sais rien, mais cela me semble monstrueux. Être prêtre sans avoir la foi : comment annoncer Jésus-Christ ? Parce qu’être prêtre, c’est tout de même, dans la diversité des ministères qui nous sont confiés, chercher, peut-être pas en la nommant, à ce que la bonne nouvelle de l’Evangile soit vécue, soit annoncée. Comment le faire si l’on n’en est pas pénétré soi-même ? Et même, il y a plus ; et là on touche la question de la discipline actuelle de l’Eglise qui veut qu’un prêtre ne se marie pas et se consacre à Dieu dans le célibat. Et je défie bien qui que ce soit de vivre ce pari toute une vie si ce n’est pas un pari qui est misé sur la personne vivante de Jésus-Christ. C’est un non-sens d’être prêtre sans avoir la foi.
Jacques Chancel :
Monseigneur Guy Riobé, vous est-il arrivé de comparer votre foi d’aujourd’hui à la foi de votre enfance ?
Guy Riobé :
Non, je n’en ai jamais pris le temps ; mais je ne crois pas qu’elle soit différente. Elle a évolué. Je crois que l’éternité de l’homme passe par la libération et la communion des hommes, ce que l’on m’a très peu dit lorsque j’étais enfant ou jeune, mais les racines profondes restent les mêmes.
Jacques Chancel :
Il y a une souffrance en vous, lorsque vous êtes en butte à l’incompréhension des gens. Vous parliez tout à l’heure de votre sensibilité, vous auriez pu parler de souffrance ?
Guy Riobé :
Oui, mais je la dépasse. Ce n’est pas moi qui suis en cause, là. Ma souffrance, elle est lorsqu’il y a une incompréhension de ce que j’ai voulu dire ou faire. Et ma souffrance profonde, les années passées, et qui a motivé le livre « La liberté du Christ », c’est que je voyais que l’on attaquait en moi ce qui est ma raison de vivre. Quand je pense que l’on mettait en doute ma foi en Jésus-Christ, on mettait en doute la conscience que j’ai de la valeur d’une vie de célibat quand elle est librement assumée, qu’on mettait en doute ce qu’est le prêtre dans le monde d’aujourd’hui – alors là, oui, j’ai souffert profondément, et je peux dire qu’il y a des nuits où j’ai très mal dormi. Parce que ça m’interrogeait, je me disais : l’essentiel pour un évêque, et c’est bien cela qui est le critère de toute ma vie, tout ce que l’on peut dire de moi, penser de moi, je pense que ça m ‘est égal. Mais ce qui ne m’est pas égal, c’est de me dire, pendant que je suis évêque – 13 ans, j’espère que cela va bientôt se terminer – de me dire : la foi qui est vécue dans ce diocèse d’Orléans, la foi dont je suis témoin, l’amour dont je suis témoin, est-ce que c’est bien la foi, l’amour dans son authenticité ? Quand vient m’effleurer dans ma conscience : est-ce que d’une façon ou de l’autre, je ne trahis pas ma mission, quand par exemple, des gens qui disent : « Vous ne faites pas votre travail d ‘évêque. Par vos prises de position, vous nuisez à l’unité de votre peuple, vous écartez des gens du message évangélique. » Cela ne peut pas ne pas m’interroger. Radioscopie Jacques Chancel – Guy-Marie Riobé. 2 janvier 1975
Jacques Chancel :
Vous êtes évêque depuis combien de temps ?
Guy Riobé :
Depuis 1961, cela fait 13 ans.
Jacques Chancel :
Vous avez dit à l’instant « Je suis évêque depuis 13 ans, et cela va bientôt se terminer ». Vous pensez déjà à prendre une retraite ?
Guy Riobé :
J’y pense, mais cela regarde le Pape à qui j’en ai déjà parlé. Ma conviction, c’est que l’on ne peut pas durer dans l’exercice d’une charge, surtout lorsqu’elle est importante. Je ne me prends pas au sérieux, mais je prends au sérieux la mission qui m’a été confiée, avec toute la période où nous vivons, la disponibilité qu’il faut, la plasticité qu’il faut, la jeunesse même qu’il faut.
Jacques Chancel :
Vous avez quel âge ?
Guy Riobé :
J’ai 64 ans bientôt et je pense qu’on ne peut pas durer longtemps dans une charge et qu’il faut savoir passer la main. Mais ce n’est pas pour cela que je cesserai de travailler. Il y a des places nombreuses à travers le monde où je pourrai continuer à parler de Jésus-Christ et à être au service de mes frères.
Jacques Chancel :
Il a fallu, Monseigneur Guy Riobé, que vous racontiez, que vous vous expliquiez, c’est la preuve de ce livre « La liberté du Christ ».Mais quelle est la liberté de Mgr Riobé ? Êtes-vous libre ?
Guy Riobé :
Qu’est-ce que cela veut dire : être libre ? Je suis conditionné comme tous les autres hommes, c’est même une question qui m’a été posée dernièrement. Ça m’a fait beaucoup réfléchir. Quand on me disait que les prêtres sont davantage des animaux politiques que des animaux économiques. Bien sûr j’ai demandé des éclaircissements sur une définition semblable. Et on m’a dit que l ‘animal politique, c’est celui qui vit toujours dans le monde des relations de personne à personne ; l’animal économique, c’est celui qui est obligé d’être en contact avec la dureté des choses, de l’argent, de la vie. Et je pense, dans ce sens là, c’est vrai. Je suis conditionné comme beaucoup d’autres hommes ; mais enfin personne n’est pleinement libre. La question que vous me pose est très embarrassante. À la limite, elle n’a pas de réponse. La seule chose, c’est que j’essaie peu à peu de vivre au jour le jour cette liberté du Christ.