Radioscopie – N°4 Ne pas croire les yeux fermés


Guy-Marie Riobé

Devenir chrétien : être saisi par le Christ. Juifs et musulmans. Intégristes et progressistes ?

  • Jacques Chancel :

    Vous avez été ordonné prêtre à 24 ans et vous êtes devenu chrétien à 34. C’est ce que vous disiez tout à l’heure. Alors que s’est-il passé entre 24 ans et 34 ans, parce que vous étiez prêtre pendant ce temps-là ?

    Guy Riobé :

    J’attendais la question. Qu’est-ce que cela veut dire « Je suis devenu chrétien à 34 ans ? »

    Jacques Chancel :

    Dix ans après !

    Guy Riobé :

    Ça veut dire que cette retraite que j’ai faite, une retraite de trente jours, avec ce père dont je parle dans le livre, cela m’a fait rencontrer Jésus-Christ à une profondeur qui pour moi était insoupçonnée. Bien sûr, je croyais en Jésus-Christ. On a pu dire que c’était absurde de dire que j’étais devenu chrétien à 34 ans. C’est vrai, si l’on prend cela littéralement. Mais cela veut dire que cette retraite a été pour moi un véritable tournant dans ma vie. C’est là justement où j’ai saisi davantage ce que pouvait être que la foi, ce que pouvait être qu’une vie qui est saisie ou qui cherche à se laisser saisir par le Christ ; et en même temps tout ce que le Christ pouvait apporter comme réponse, comme sens profond à la recherche, à la souffrance, à la vie des hommes. Mais j’y croyais. Vous savez, c’est différent de dire – et beaucoup peut-être d’entre nous pourraient s’interroger – c’est différent de dire : « Je crois que Jésus-Christ existe » et puis, ça c’est indicible, cette saisie par le Christ qui fait que j’y pense tout le temps, tout m’y réfère. Il est tout. Mais j’ai perçu davantage ce que ça pouvait être que d’être chrétien, mais tous les jours, ça continue. Je cite cette réflexion, et je pourrais la prendre à mon actif, de cet homme chrétien disant : « Jésus, je le connais de plus en plus et peut-être de moins en moins ». Parce que plus on croit le saisir, plus il se dérobe. Et finalement, Jésus n’est plus une vérité que l’on possède, mais c’est une question qui continuellement nous précède. Je pense que l’on retrouve là cette finale de l’évangile de Saint Marc qui m’arrête toujours. Quand les femmes viennent au sépulcre pour prendre, pour posséder le cadavre du Christ et qu’on leur dit, ou elles entendent cette voix qui leur dit : « Il ‘est pas ici, il vous précède… ». Ce qui est curieux, ce n’est pas en Judée, c’est en Galilée, c’est à dire vers les autres, vers ceux qui ont été les plus loin de Lui. Jésus-Christ, Il est toujours en avant, à la fois Celui qui vient d’ailleurs et à la fois qui est toujours en avant.

    Jacques Chancel :

    Guy Riobé est devenu prêtre et le prêtre est venu évêque. Vous êtes « Monseigneur » et vous êtes homme. Et comme homme, comprenez-vous mieux maintenant les croyances des juifs, des musulmans, des protestants ?

    Guy Riobé :

    Je les comprends ; pas intellectuellement. Je comprends un peu les juifs parce que je les ai rencontrés, parce que j’ai été amené à faire attention à eux au moment de la « rumeur d’Orléans », parce que j’ai un grand ami qui est juif, et c’est là une amitié extrêmement solide. Je comprends les musulmans parce que l’an dernier, j’ai vécu un mois à Béni-Abbès, parmi eux, au moment du Ramadan, et j’ai été dans l’admiration de la façon dont ils vivent ce fait à la fois religieux et social du Ramadan. Je connais un peu l’islam, j’y mets des visages. Ce sont toujours des visages qui m’aident à être en relation soit avec le judaïsme, soit avec l’islam.

    Jacques Chancel :

    Guy Riobé, vous êtes évêque, je le rappelle, donc bien installé dans la hiérarchie, donc bien installé dans le système, quoique vos prises de position plaident Radioscopie Jacques Chancel – Guy-Marie Riobé. 2 janvier 1975 pour vous ; mais êtes-vous de ceux qui estiment que le système intégriste est responsable actuellement de l’incroyance ?

    Guy Riobé :

    Non, je n’ai pas le droit de porter un jugement semblable. Qui, quoi peut être responsable de l’incroyance ?

    Jacques Chancel :

    Ne pas croire les yeux fermés.

    Guy Riobé :

    Mais ce n’est pas l’incroyance, ne pas croire les yeux fermés, c’est être lucide. À ce moment-là, moi je suis un incroyant. C’est tout le phénomène actuel du monde, c’est ce qu’on appelle le procédé de sécularisation, qui fait que Dieu n’est plus à portée de main, il n’est plus Celui que l’on mettait pour expliquer tout. Au fur et à mesure que toutes les données scientifiques, tout cela, à la fois, relativisent, peuvent relativiser Dieu et, en même temps, peuvent être une ouverture vers une foi beaucoup plus lucide en Dieu. Mai je ne peux pas dire que les intégristes – et, là encore, c’est un mot que je n’emploie jamais, je n’emploie jamais le mot intégriste, je n’emploie jamais le mot progressiste – pour moi, l’intégrisme – et je suis un intégriste dans ce sens-là – c’est celui qui, quand il aborde l’autre, croit qu’il est seul, lui, à posséder la vérité et que l’autre n’a pas la vérité ou une parcelle de vérité à lui apporter. Dans ce sens-là, il y a de l’intégrisme en chacun de nous. Bien sûr, on a baptisé « intégristes » ceux qui vont se river davantage à la tradition, ou plutôt aux traditions. Et là, on touche la grande question d’une Eglise qui doit avancer. J’aime à dire que le Dieu qui nous sauve, c’est un Dieu qui nous fait regarder en avant, et c’est vrai ; mais en même temps dans un enracinement profond à ce qui est la foi en Jésus-Christ, que les apôtres ont reçue de Jésus-Christ lui-même. Je pense que, dans la souffrance, dans les difficultés, je dirais même dans ce combat à l’intérieur de l’Eglise entre ceux que l’on baptise d’une façon simpliste progressistes ou intégristes, il y a, et c’est extrêmement complexe, il y a ceux qui, voyant les erreurs de ceux qui cherchent à avancer – on ne peut pas avancer sans faire d’erreurs – se rivent à ces erreurs et canonisent les traditions et le passé. Et puis il y ceux qui, voyant justement qu’on va se river à des choses, qui, souvent, sont des choses secondaires, risquent de faire sauter davantage ce qui pourrait être des verrous de sûreté ou des critères d’authenticité.