Guy-Marie Riobé
Faire de la politique ? Rejoindre les interrogations des hommes. L’autorité du pape : un compagnonnage dans l’Eglise et de par le monde.
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Jacques Chancel :
Monseigneur Guy Riobé, vous reprenez à votre compte la parole du Christ, parce que vous pourriez dire de la même manière : « Ma vie, personne ne me la prend, je la donne », et vous la donnez aux objecteurs de conscience, vous la donnez contre les essais atomiques, vous la donnez à chaque moment de votre vie ?
Guy Riobé :
Oui, et on pourra peut-être me reprocher de trop la donner, peut-être pour certains, à des cause qui sont critiquables. Mais c’est un peu le même mouvement. J’entrevois, mais alors là, j’ai le droit à l’erreur et je tiens à ce que l’on me le reconnaisse. J’ai droit à des hésitations, parce que je n’ai pas la vérité et j’accepte tout à fait que d’autres ne partagent pas des prises de position que j’ai pu avoir. Ce que je souhaite, c’est que l’on ne mette pas en doute ma sincérité, pas simplement la sincérité de quelqu’un qui, par sensibilité, communie à n’importe quelle cause, mais cette sincérité de quelqu’un qui cherche à vivre, en très lointain, mais du mouvement même qui a été celui qui guidait Jésus-Christ.
Jacques Chancel :
Mais un évêque, doit-il, comme vous, entrer dans le jeu de la politique ? Car, au final, vous faites de la politique ?
Guy Riobé :
Non ! D’abord, qu’est-ce que cela veut dire « faire de la politique » ?
Jacques Chancel :
C’est respirer.
Guy Riobé :
On a dit, et je crois que c’est vrai, et cela s’impose de plus en plus, que la politique c’est une dimension essentielle de la vie d’un homme et donc de la vie d’un chrétien. À partir du moment où l’on est attentif – comme tout homme doit l’être – à ce qu’on appellera le bien commun, on fait de la politique. Mais dire que je fais une opération de politique, là je le dénie à qui que ce soit. Pour moi, ce n’est pas faire de la politique que de prendre le parti de l’homme, que d’essayer de rejoindre le projet fondamental de Dieu sur l’homme. À partir du moment où je perçois – je ne suis d’ailleurs jamais seul à le faire et c’est toujours, j’espère aussi, dans un souci de fidélité à l’Église et aussi de fidélité à ceux avec qui je fais route, je ne suis pas un isolé sur la route de la vie – à partir du moment où je perçois et où l’on m’aide à percevoir que l’on engage l’homme dans une impasse, je ne peux pas ne pas dénoncer cette impasse.
Jacques Chancel :
Le Pape vous a-t-il reproché vos prises de position ?
Guy Riobé :
Jamais. Je ne sais pas d’ailleurs s’il les a connues.
Jacques Chancel :
Il doit les connaître : vous êtes évêque.
Guy Riobé :
Oui, mais il y en a 2 500 et plus. Mais en tout cas, ce dont je suis sûr, c’est que, quand j’ai rencontré le Pape, j’ai essayé d’être très clair avec lui et de lui dire, même dans un petit mémoire que je lui ai laissé, quel était mon problème d’évêque, quelles étaient mes interrogations profondes, quelle était ma souffrance de voir que nous avons tant de mal à rejoindre les interrogations fondamentales des hommes d’aujourd’hui, ce qui fait la vie des hommes d’aujourd’hui, et de trouver le langage pour leur parler. À chaque fois, il m’a encouragé dans cette voie. Est-ce que c’est livrer un secret, dans une émission comme celle-ci, que de dire que, lorsque le père Marty est allé à Rome, après l’assemblée des évêques de Lourdes, l’an passé, il a vu le Pape, et le Pape, au moment de quitter le père Marty, lui a dit : « Et Monseigneur Riobé, qu’est-ce qu’il devient ? Il a dû beaucoup souffrir l’année dernière ? Dites- lui ma prière et mon amitié. » Cela compense beaucoup d’autres choses.
Jacques Chancel :
Vous reconnaissez donc, vous, Monseigneur, l’autorité du pape ?
Guy Riobé :
Oui, sans cela, je ne serais plus évêque.
Jacques Chancel :
Mais certains évêques ne la reconnaissent pas ?
Guy Riobé :
Je ne sais pas.
Jacques Chancel :
Certains prêtres ne la reconnaissent plus.
Guy Riobé :
C’est à dire, c’est trop vite dit cela. Mais ce que l’on souhaite – et moi aussi je le souhaite – c’est que l’expression de l’exercice de l’autorité du pape – ce n’est pas un jugement que je porte, je n’en ai pas le droit et je n’en ai même pas envie – c’est que cette autorité, plus elle s’exerce à un niveau élevé et plus elle soit une autorité de communion, c’est à dire qui s’exerce dans le respect. Bien sûr, il y a ce respect, mais il n’est peut-être pas suffisamment exprimé ; on n’a peut-être pas suffisamment la certitude que nous sommes, que nous sommes nous aussi pour quelque chose dans cette autorité. Et c’est là que la rencontre d’Olivier Clément et, à travers lui de l’orthodoxie, m’a profondément marqué. Parce qu’ils ont une sensibilité à ce que nous appelons, nous, le Saint-Esprit, qui est essentiellement un Esprit qui met les gens en relation, en communion, sensibilité que nous n’avons pas peut-être autant qu’eux dans l’Église catholique. Je pense aussi que dans le monde où nous vivons, c’est très difficile de dire une parole, quelle que soit l’autorité dont on est revêtu, qui soit une parole qui semble venir de l’extérieur pour dire quelque chose qui sera partagé. Je pense qu’i faut passer beaucoup de temps à accompagner, à vivre avec. Et je crois que nous nous posons quelquefois la question : est-ce que le Pape, quand il parle, – je ne conteste absolument pas son autorité de pasteur de l’Église universelle, cela ne m’effleure même pas – mais je souhaiterais que la façon dont il parle, pas simplement les mots qu’il emploie, mais les vibrations que cela va faire naître dans ceux qui vont être attentifs à ce qu’il dit, nous donne davantage l’impression et même la certitude de ce compagnonnage, de cette attention aux réalités de la vie quotidienne. C’est très difficile, à travers le monde, et c’est pourquoi il y a le Synode, pour que les évêques puissent venir dire les uns aux autres et au Pape ce qui est vécu par le monde, pas simplement par ce que vit l’institution Église, mais par le monde que nous avons à servir.
Jacques Chancel :
Referiez-vous le même chemin ? Seriez-vous encore prêtre ?
Guy Riobé :
Oui ! Je suis heureux. On m’a posé la question en Italie, l’autre jour, à la fin d’une émission : « Êtes-vous un évêque heureux ? » J’ai répondu très vite « Profondément heureux ! ». J’ai regretté, après, de l’avoir dit si vite, parce que je ne voudrais pas donner à penser qu’un évêque est profondément heureux parce qu’il a un genre de vie qui ne le met pas à même de partager ce que tant d’hommes vivent. C’est peut-être là où s’enracine l’espérance, qui est différente de l’espoir. Mais, continuellement, dans ma conscience, et dans ma vie d’évêque, à longueur de journée – et je pourrais dire en filigrane comment j’ai vécu Noël – toute la journée, continuellement affleurent, m’atteignent les interrogations, les souffrances, et pas simplement à travers une page de journal, à travers des gens qui m’écrivent, qui viennent me voir. Alors, portant cela, je dirais même que parfois c’est trop dur. Alors comment pouvoir dire, dans cet effort – ce n’est même pas un effort – je rejoins encore là ma sensibilité qui me met plus à même de communier à ce que vivent les autres, à ce que souffrent ceux avec qui j’essaye de faire route. Mais en même temps, je suis profondément heureux, parce que le bonheur fondamental d’un homme c’est de réaliser le projet qu’il a eu. J’ai pensé à 13 ans à être prêtre. Je n’ai jamais eu, c’est un fait, le moindre doute sur ma vocation. J’ai toujours été gâté, je dois le dire, dans la diversité des ministères ou des fonctions qui m’ont été donnés. J’ai été gâté par Dieu, j’ai été gâté par cette foi vivante en Jésus-Christ. Pour moi, ce n’est pas des mots. J’ai été gâté aussi par les autres. Bien sûr, il y a des gens qui m’ont fait mal, mais que j’excuse – je les comprends.
Jacques Chancel :
Vous avez eu toute cette joie, mais voulez-vous encore plus de bonheur ?
Guy Riobé :
Non, pour la terre, ça va bien.
Jacques Chancel :
Vous attendez le ciel ?
Guy Riobé :
Oui. Mais je ne suis pas pressé. Pour moi, alors là, le ciel, ça ne pose pas de problème.