Guy-Marie Riobé
Qu’est-ce qu’un évêque ? Conversion : le Christ rend libre ; à la suite de Charles de Foucauld.
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Jacques Chancel :
Monseigneur Riobé, comment regardez-vous les incroyants ?
Guy Riobé :
Avec beaucoup d’amour. D’abord, à l’heure actuelle, l’incroyance est un donné, dans lequel nous nous mouvons. On peut même dire, je pense, que si l’incroyance, pour un milieu qui était encore, qu’on appelait encore un milieu de chrétienté, comme un certain nombre de nos régions de France, si l’incroyance était une exception, c’est croire maintenant qui devient difficile et que nous rencontrons continuellement ceux qu’on appelle des incroyants. C’est très difficile de mettre une étiquette sur quelqu’un et de dire « Untel est incroyant, l’autre est croyant ». Je pense, pour moi-même, il y a des zone d’incroyance. Être croyant, c’est faire référence, dans sa vie, à l’Évangile et à Jésus-Christ. C’est un compagnonnage.
Jacques Chancel :
Pourquoi dites-vous que croire c’est difficile aujourd’hui ? On a perdu l’espérance ?
Guy Riobé :
Non ! Et encore !… Je pense que la foi…, et je peux rappeler d’ailleurs Péguy : « La foi que j’aime le mieux – dit Dieu – c’est l’espérance ». Je pense qu’il y a à retrouver une espérance vivante au cœur d’une vie rude comme celle qui nous est imposée actuellement. Mais il y a aussi à nous interroger sur la réalité de notre foi. La croyance, est-ce que c’est toujours la foi ? Et il n’y a de foi, pour moi, que quand il y a une reconnaissance de la personne vivante du Christ ressuscité.
Jacques Chancel :
Il y a aussi cette autre phrase de Bernard Shaw : « On peut croire aux anges, puisque l’on croit aux électrons ». Alors, faut-il croire aux anges ?
Guy Riobé :
Oui ; mais alors, vous savez, moi j’y crois ; mais cela n’encombrera jamais mua réflexion. Ce qui encombre ma réflexion et ma vie, avec des interrogations profondes, c’est la coïncidence de ma vie avec Jésus-Christ.
Jacques Chancel :
Il y a tout de même des interrogations. À cette même place, le père Chenu, que vous connaissez, qui est un grand théologien, me disait un jour : « Dieu n’existe pas ; je ne l’ai pas rencontré. Mais je sais que le Christ, Lui, existe. » Alors ! Dieu n’existe pas, ce sont tout de même des phrases qui font mal à ceux qui peuvent croire, lorsque ces phrases surtout viennent d’un théologien.
Guy Riobé :
Je laisse le père Chenu, que j’aime beaucoup avec ses paradoxes, parce que je pense que, de la part du père Chenu, c’est un paradoxe. Mais je pense aussi que Dieu, personne ne l’a jamais vu.Mais, que dan ma foi, Jésus-Christ est le visage de Dieu et, si je veux saisir ou plutôt me laisser saisir un peu par Dieu, je dois chercher à connaître Celui qui est son visage. Et je vais plus loin : c’est que Jésus-Christ, il a vécu 33 ans. Je crois profondément dans sa présence, dans cette réalité formidable qu’est la vie du Ressuscité. Je pense aussi que ce visage de Jésus-Christ, il est démultiplié dans tous ces visages d’hommes qui me disent continuellement Jésus-Christ. Pour moi, l’humanité, ce n’est pas l’humanité avec un grand H, mais tous ces hommes que je regarde, que je m’efforce de regarder avec énormément d’attention, je dirais même avec amour. Il n’y a pas un visage d’homme qui, pour moi, ne m’apporte un reflet de cet immense visage de ce Christ aux millions et millions de visages, ce visage de Jésus-Christ.
Jacques Chancel :
Monseigneur, si le Christ n’était pas mort à 33 ans, s’il avait vécu beaucoup plus d’années, aurait-il été encore le Fils de Dieu ? C’est une naïveté de poser cette question ? Radioscopie Jacques Chancel – Guy-Marie Riobé. 2 janvier 1975
Guy Riobé :
Non, pas du tout ! Aucune question n’est naïve, mais quelquefois il y a des réponses qui sont embarrassantes. Je pense que quand on regarde, c’est le titre du livre, la liberté du Christ, le Christ a fait ce qu’il a voulu ; c’est bien, pour moi, ce qu’il y a de plus profond dans la personne du Christ, c’est que cette liberté, il la reçoit continuellement de son Père. Je m’explique : quand Il dit – puisque vous faisiez allusion tout à l’heure à sa mort à 33 ans – « Ma vie, personne ne me la prend, mais je la donne », ça, c’est un acte de liberté. Et continuellement, dans tout ce qu’il fait, même dans ce qui apparaît comme la plus grande indépendance par rapport au pouvoir établi, sa liberté par rapport à tout ce qui peut être expression de violence pour ceux qu’Il rencontre, c’est une correspondance à l’amour, qu’Il lit dans le cœur de son Père, pour l’humanité, qui va dicter sa liberté. Si vous voulez, à la limite, et c’est peut-être là aussi un paradoxe, la plus grande liberté de l’homme ne peut se vivre sans une obéissance continuelle à la réalité, à la réalité de ce qu’Il est, à la réalité de ce qu’est sa foi.