Radioscopie – N°1 Être évêque

Guy-Marie Riobé

Qu’est-ce qu’un évêque ? Conversion : le Christ rend libre ; à la suite de Charles de Foucauld.

  • Jacques Chancel :

    Guy Riobé, vous êtes évêque, évêque d’Orléans. Je dois vous dire « Monseigneur », et je suis persuadé même que ce seul fait vous agace. Mais enfin, vous êtes « Monseigneur » ?

    Guy Riobé :

    Oui, bien sûr ; je ne peux pas le nier.

    Jacques Chancel :

    Vous êtes en avance sur l’Eglise, et nous en parlerons tout l’heure. Vous avez témoigné devant le Tribunal en faveur des objecteurs de conscience, vous avez dénoncé les essais atomiques, vous avez beaucoup parlé ; je ne sais pas si l’on vous l’a beaucoup pardonné. Mais peut-être avez-vous fait avancer, d’une certaine manière, la cause du christianisme. Nous avons une heure pour parler de tout cela. Je disais donc que vous étiez évêque, vous l’êtes, et évêque d’Orléans, ; je voudrais savoir ce que c’est qu’un évêque en 1975.

    Guy Riobé :

    Un évêque est beaucoup plus présent à la réalité quotidienne, à la vie du département où il est évêque. Cela n’a plus cette impression d’extraordinaire. Si l’on a perdu indiscutablement sur le plan de « l’évêque personnage », pour moi, en tout cas, j’y ai énormément gagné dans le partage beaucoup plus simple de la vie de tous ceux avec qui je fait route.

    Jacques Chancel :

    Vous avez l’impression d’être à un sommet de la hiérarchie ?

    Guy Riobé :

    Non, pas du tout, non.

    Jacques Chancel :

    Hiérarchie, le mot vous gêne déjà ?

    Guy Riobé :

    Non ; il en faut une, je ne peux pas la nier, c’est la vie même de l’Eglise. Mais quand on parle de hiérarchie au sens de notabilité, alors oui, cela me gêne.

    Jacques Chancel :

    Vous êtes pourtant une « notabilité » ?

    Guy Riobé :

    Non, oui, un peu, dans le sens de l’Evangile.

    Jacques Chancel :

    Vous avez besoin d’être aimé ? Parce que vous avez eu de telles prises de position que vous avez égratigné beaucoup de monde ?

    Guy Riobé :

    Je suis sensible, ce n’est un secret pour personne. J’ai même une dose de sensibilité parfois au-dessus de la moyenne. Je ne peux pas dire que quand je suis pas attaqué, mais enfin que je suis controversé, cela ne peut pas ne pas me faire souffrir.

    Jacques Chancel :

    Vous ressemblez aux autres évêques de France ?

    Guy Riobé :

    Je n’en sais rien. Je pense que chacun d’entre nous a sa personnalité ; mais vous savez je peux le dire, quelquefois on a l’air de me faire passer pour quelqu’un d’extraordinaire. Je peux dire que des amitiés extrêmement solides me lient à beaucoup, beaucoup d’évêques de France et aussi d’autres pays, parce que j’ai été amené à voyager pas mal avant d’être évêque à Orléans.

    Jacques Chancel :

    Vous avez décidé d’être prêtre ; mais, de la même manière, vouliez- vous être évêque , ce qui aurait été quand même de l’ambition ?

    Guy Riobé :

    On ne veut jamais être évêque, je ne le pense pas, surtout à l’heure actuelle. Non, je n’y avais jamais pensé. Je pense que c’est venu comme cela. Je ne peux pas dire que cela a été une surprise considérable, mais il reste que je n’y pensais pas du tout lorsqu’on m’a demandé d’être évêque-coadjuteur d’Orléans.

    Jacques Chancel :

    On dit que votre confession, c’est un livre : La liberté du Christ. Votre livre est l’histoire d’une conversion. Je ne comprends pas très bien : vous n’étiez pas chrétien dès le départ ?

    Guy Riobé :

    On a même titré dans un journal : « L’étrange conversion d’un évêque ». Je pense que mon idée, c’est à dire ce qui fait la réalité de ma vie, c’est que se convertir, cela veut dire quoi pour quelqu’un qui croit en Jésus-Christ ? Se convertir, c’est Le connaître davantage, c’est arriver à ce qu’Il soit une personne de plus en plus vivante et que le pari que l’on a fait sur Lui et sur l’Evangile soit un projet qui se réalise de plus en plus. Je pense que, dans ce sens, il y a des étapes qui ont marqué ma vie, et je peux dire que ce sont des étapes de réelle conversion.

    Jacques Chancel :

    Au départ, vous étiez un jeune bourgeois angevin très pris par l’ordre moral. Êtes-vous toujours très pris par l’ordre moral ?

    Guy Riobé :

    Ça dépend aussi de ce que l’on veut dire. « Être pris par l’ordre moral ? » Oui, j’y tiens ! Il ne peut y avoir d’Eglise, il ne peut y avoir de société sans ordre moral. Mais qu’est-ce qu’on entend par « ordre moral » ? J’essaie de l’exprimer un petit peu dans le livre que j’ai écrit. Est-ce que l’ordre moral c’est l’ordre d’une loi qui s’impose ou est-ce que c’est l’ordre qui va susciter une réponse libre à un amour ?

    Jacques Chancel :

    Aviez-vous été inventé pour la discipline ? Et d’abord, faut-il être discipliné ?

    Guy Riobé :

    Qu’est-ce que cela veut dire être inventé pour une discipline ?

    Jacques Chancel :

    Pour suivre un courant, pour obéir à une société, pour entrer vraiment dans un système.

    Guy Riobé :

    L’éducation que j’avais reçue dans ma famille, aussi au collège où j’étais m’a certainement orienté vers le respect, d’une discipline, d’une discipline de vie, et je pense que cela n’a pas changé.

    Jacques Chancel :

    Vos parents ont suivi votre route ?

    Guy Riobé :

    Oui, toujours. Mes parents sont morts, ma mère depuis quatre ans, déjà.

    Jacques Chancel :

    Elle vous a connu évêque ?

    Guy Riobé :

    Elle m’a connu évêque, comme beaucoup de mamans avec une certaine fierté, et mon père aussi. Mais ils ont accepté toutes les ruptures que je leur ai imposées ici ou là, en particulier lorsque j’ai cessé d’être, à Angers, le Vicaire Général de l’évêque d’alors, qui m’a beaucoup marqué, Mgr Chappoulie, et que je suis parti un peu à travers le monde pour rejoindre les fraternités de prêtres qui s’orientaient vers l’esprit du père de Foucauld. Alors là, oui, je leur ai imposé un certain nombre de sacrifices, quand on me voyait partir loin pour cinq ou six mois, parfois plus longtemps, plus loin. Mais tant de parents connaissent les mêmes sacrifices.

    Jacques Chancel :

    Que cherchiez-vous, Monseigneur, dans l’aventure du père Charles de Foucauld ?

    Guy Riobé :

    Jésus-Christ ! Je pense qu’il m’a apporté certainement plus de simplicité dans ma foi. En lisant ce qu’il a écrit, en regardant ce qu’il a fait, je suis touché profondément par ce réalisme de sa foi. Des phrases par exemple, qui m’ont marqué, c’est Charles de Foucauld au moment de sa conversion, disant « À partir du moment où j’ai compris qu’il y avait un Dieu, j’ai compris aussi que je ne pouvais plus vivre que pour Lui. » Il y a une radicalité et en même temps une simplicité dans la vie de foi de Charles de Foucauld qui, pour moi aussi, a été ce que l’on peut appeler une étape de conversion.